Connaître la Responsabilité élargie du producteur (REP)

GESTION DES DÉCHETS, LA FILIÈRE SE MET EN MARCHE

Afin de s’inscrire dans une dynamique d’économie circulaire, la filière du bâtiment se doit de garantir la bonne gestion des déchets. Tri, recyclage, revalorisation : chacun a son rôle à jouer.

 

Qui ne s’est jamais agacé devant un dépôt sauvage de déchets de chantier sur une route de montagne ou au cœur de la campagne… ? Qu’il s’agisse de déchets de chantier ou de déchets de production, il existe pourtant de nombreuses solutions, dont celle de les transformer en ressources nouvelles et faire ainsi basculer le monde du bâtiment dans une dynamique d’économie circulaire, respectueuse de l’environnement et protectrice des ressources naturelles. Depuis 2016, le cadre réglementaire exige d’offrir aux entreprises du bâtiment des points de collecte, que ce soit au sein des négoces de matériaux ou au sein de déchetteries privées. Mais un nouveau et grand pas va bientôt être franchi, dans le cadre de la loi “anti-gaspillage pour une économie circulaire” (AGEC). Celle-ci prévoit en effet la mise en place d’une “responsabilité élargie du producteur” (REP), concernant les produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment, dès le 1er janvier 2022.

 

Crédit photo : SRB

LA FUTURE REP BÂTIMENT COMME REPÈRE

La future REP bâtiment va servir de cadre pour mieux gérer les déchets de chantier, mais aussi d’outil de financement, ce qui va bouleverser certaines habitudes.

Les dépôts sauvages sont une véritable préoccupation pour les collectivités locales. Il faut donc trouver une solution viable et assez simple à mettre en place. C’est dans ce sens que des discussions ont été engagées entre les différentes parties, dont la future REP bâtiment devrait formaliser l’application dès le 1er janvier 2022. « Mettre en place une REP, c’est une des solutions qui est apparue », explique Maïté Ketterer, directrice économie circulaire Saint-Gobain Solutions France. « Le producteur du matériau de construction contribue, dès la mise en marché du produit, à la gestion de la fin de vie du produit. Le but est de permettre au détenteur du produit en fin de vie de le remettre gratuitement à un point de collecte afin de le revaloriser. » Cette REP permettrait aux industriels de financer, en amont, le futur recyclage du produit sortant de leur usine. Avec l’objectif de limiter au maximum l’enfouissement des déchets et de les mettre dans des filières de valorisation, afin de faciliter leur recyclage. Que ce soit pour une nouvelle matière ou en “combustible solide de récupération” (CSR), venant se substituer à d’autres sources d’énergie, fossile, notamment.

UN CALENDRIER SERRÉ POUR LA REP BATIMENT

« L’objectif de la REP est de faire émerger une filière de recyclage », précise Maïté Ketterer. Le calendrier est très serré : tous les acteurs doivent être prêts pour le 1er janvier 2022. D’ici le troisième trimestre 2021, la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) va ainsi rédiger le cahier des charges destiné aux éco-organismes qui souhaiteraient demander un agrément… Celui-ci va clairement identifier les objectifs de la REP en termes de :

  • moyens
  • objectifs de recyclage à atteindre 
  • maillage territorial

Selon Quentin Charoy, président de Tri'n'Collect (anciennement appelé Solution Recyclage Bâtiment), la réglementation va faire bouger les choses. « Dans la loi AGEC, apparaît le diagnostic “produits matériaux déchets” (PMD), permettant de savoir ce qui peut être réemployé. Il faut vraiment voir les déchets comme des matières premières, c’est dommage de les enfouir ! »

Une réelle prise de conscience de la profession, reconnaît Sébastien Delamarche, directeur du marché construction-déconstruction chez Suez. « Ce PMD, basé sur un aspect de diagnostic ressources (diagnostic des déchets avant démolition), permettra d’avoir davantage de précisions sur les ressources disponibles. Il sera possible de soumettre ces données à l’architecte qui pourra ensuite prévoir son projet avec les ressources identifiées. Il est essentiel de mettre en place une démarche vertueuse tournée vers l’économie circulaire, d’autant que nous avons constaté une hausse de 261 % de la TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) et un quota d’enfouissement divisé par deux. »

LES INDUSTRIELS DOIVENT JOUER LEUR RÔLE

De nouvelles méthodes de déconstruction, une prise de conscience sur l’importance du réemploi… Pourtant, il n’est pas toujours facile de trouver des débouchés. Là aussi, les choses doivent bouger, notamment du côté des services de R&D des industriels. Maïté Ketterer le conçoit : « Il faut pouvoir trouver de nouvelles utilisations des matériaux récupérés. Certains process de R&D doivent donc évoluer en ce sens. » Un rôle à jouer par les industriels, que Quentin Charoy voit comme essentiel dans le bon fonctionnement de cette économie circulaire. « Les industriels ont une grosse responsabilité, car ils doivent être capables de réintégrer de la matière recyclée à leur process de production, mais ils doivent aussi travailler sur l’arrêt de produits trop complexes et privilégier les produits en mono matière. » Si le mouvement est enclenché, il reste encore des efforts à faire au niveau de l’écoconception.

 

Crédit photo : Suez

 

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LA LOI AGEC, QU’EST-CE QUE C’EST ?

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) entend accélérer le changement de modèle de production et de consommation afin de limiter les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat. Elle vise à transformer notre économie linéaire – produire, consommer, jeter – en une économie circulaire. Concernant le bâtiment, elle souhaite optimiser la gestion des déchets. Une filière pollueur-payeur sera créée à compter du 1er janvier 2022 : elle s’appliquera aux produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment, destinés aux ménages ou aux professionnels. De nouveaux lieux seront dédiés à la collecte de ces déchets. Il en existe aujourd’hui 600 en France, les éco-organismes de la filière devront donc établir un maillage territorial des installations reprenant les déchets du bâtiment. Enfin, les déchets de construction ou de démolition seront repris gratuitement lorsqu’ils feront l’objet d’une collecte séparée.

Maite directrice economique chez Saint-Gobain

POINT DE VUE – MAÏTÉ KETTERER - directrice économie circulaire Saint-Gobain Solutions France

LA GESTION DES DÉCHETS DU BÂTIMENT : une opportunité formidable

« La gestion des déchets du bâtiment est un énorme défi, mais aussi une opportunité formidable de s’inscrire dans une économie circulaire. L’objectif aujourd’hui est d’être capable de boucler la boucle. Pour y parvenir, chacun a un rôle à jouer et la future REP doit permettre de financer tout l’aval. Il est essentiel de pouvoir proposer à l’artisan une reprise gratuite de ses déchets, s’il a fait l’effort de les trier. L’aspect économique va nous aider, en premier lieu, à faire bouger les choses et les habitudes. Après, pas à pas, nous pourrons aller encore plus loin dans la démarche. »

 

Crédit photo : William BAYOL

DE NOUVEAUX SERVICES POUR ACCOMPAGNER LES ARTISANS

Pour permettre aux entreprises du bâtiment de profiter pleinement de la dynamique impulsée par la réglementation, de nombreux acteurs offrent déjà des services. Avec pour ambition d’accompagner l’artisan en lui facilitant la démarche.

 

« Dans 90 % des cas, les déchets de chantier sont valorisables, car il existe une filière adaptée. » Le constat, réalisé par Quentin Charoy, président de Tri'n'Collect, se heurte à une réalité qui peut être différente. Et pour cause, si les artisans sont conscients de la nécessité de mieux gérer leurs déchets de chantier, ils ne savent pas toujours comment faire. Par manque d’information ou de solution. Pourtant, de plus en plus d’entreprises proposent des services adaptés. À l’image d’Ecodrop qui cible les chantiers diffus, grâce à une application digitale. Marie Combarieu, sa fondatrice, nous explique le principe. « Pour l’artisan, la gestion des déchets est une perte de temps. Nous lui offrons donc une prestation complète avec un tarif clair comprenant l’ensemble des opérations à effectuer, de la manutention du déchet à son recyclage. L’important pour lui, c’est que ce soit simple. À lui de choisir s’il veut aller déposer ses déchets dans une déchetterie partenaire ou s’il souhaite un enlèvement. » Dans ce second cas, l’artisan, via une application, définit ses besoins, indique l’adresse du chantier, la quantité et le type de déchets. Sous deux heures une camionnette vient les récupérer. Ecodrop s’occupe de trouver les bons prestataires et va déposer les déchets dans des sites agréés en vue de leur valorisation. Il ne reste ensuite à l’artisan qu’à nettoyer son chantier . Pour l’instant, le service Ecodrop n’est disponible qu’en Île-de- France, mais l’entreprise espère rapidement un maillage plus important dans les grandes zones d’activités de l’Hexagone.

« Dans 90 % des cas, les déchets de chantier sont valorisables, car il existe une filière adaptée. »

QUENTIN CHAROY, Président de Tri'n'Collect

 

Crédit photo : Les ripeurs

PRENDRE EN CHARGE TOUS LES BESOINS DES ARTISANS

C’est dans le même esprit que Les Ripeurs ont vu le jour, explique Romain Icol, cofondateur : « Pour l’artisan, la collecte des déchets est une activité lourde, chronophage et chère. Comme la prestation est pénible, une filière clandestine s’était mise en place et posait un vrai problème environnemental, notamment par la création de dépôts sauvages. » Les Ripeurs ont donc monté une équipe et un service de collecte par camionnette en Île-de-France avec, en support, une application permettant à l’artisan de passer commande à n’importe quel moment de la journée. « Notre application sensibilise aussi l’artisan au tri des déchets en proposant onze flux de déchets différents à petit prix », explique Romain Icol. « Face aux contraintes de chaque chantier, Les Ripeurs ont construit une offre de service qui s’adapte à la situation. De ce fait, nous proposons des collectes en camionnette, de la location de bennes et engins de chantier, des collectes de big bags et de vrac en camion-grue, ainsi que la reprise des déchets dangereux, comme l’amiante ou le plomb. Depuis 2018, en sensibilisant au tri en amont, nous avons collecté 45 000 tonnes qui ont été revalorisées à plus de 80 %. C’est un exploit car le secteur du BTP peine à atteindre les 50 % de revalorisation en termes de déchets. Aujourd’hui, nous sommes à La Plateforme du Bâtiment, chez CEDEO, SFIC, Décocéram ou Asturienne pour apporter un service complémentaire à leurs “déchetteries responsables” de l’environnement. »

LA PROXIMITÉ, GAGE D’EFFICACITÉ

Renforcer le maillage sur tout le territoire est une nécessité pour permettre à tous les artisans d’avoir une solution à proximité de leurs chantiers. C’est de ce postulat qu’est parti François Excoffier, P.-D.G. d’Excoffier Recyclage, fortement implanté en Savoie : « Nous sommes un acteur historique dans les Savoies et notre stratégie repose sur la proximité, avec au minimum une déchetterie professionnelle dans chaque bassin de vie. Nous avons un centre de tri haute performance pour le recyclage. Nous allons d’ailleurs en créer un second, à la frontière de l’Ain et de la Haute-Savoie. » Être au plus près des chantiers est la clé pour une gestion des déchets efficiente. Quentin Charoy, en est persuadé : « Il faut être au plus près des besoins. Nous avons ainsi développé des stations de tri directement sur les chantiers, en réfléchissant à des contenants adaptés. Pour chaque chantier, il faut avoir des fréquences prédéfinies sur la collecte. Ainsi, nous intervenons en fin du gros œuvre, à la fin de la mise en place des plaques de plâtre, puis après les travaux de finition. »

POINT DE VUE : SÉBASTIEN DELAMARCHE, directeur du marché construction-déconstruction chez Suez

Nous sommes présents sur l’ensemble de la chaîne

« Suez intervient sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Le Groupe collecte le déchet, puis les équipes l’étudient afin d’identifier la meilleure filière de valorisation. Nous utilisons de plus en plus les voies du réemploi et de la réutilisation avant d’imaginer une valorisation. Le tri à la source et l’anticipation sont essentiels pour identifier les bonnes filières de valorisation. C’est notre rôle d’être réactif pour trouver les bons partenariats. Les enjeux sont multiples, notamment pour la partie assurantielle de la construction. Il faut avancer sur ce sujet pour maximiser le réemploi. L’enjeu des cinq prochaines années à venir reposera également sur la revalorisation des matériaux en présence de gros volumes. »

 

Crédit photo : Suez

LES ARTISANS, PIERRE ANGULAIRE DU SYSTÈME

Les artisans et entreprises du bâtiment sont au cœur du dispositif de gestion des déchets. Pour que cela fonctionne, ils ont un rôle essentiel à jouer, notamment dans le tri de leurs déchets.

Le vrai service que l’on doit exiger de l’artisan est le tri de ses déchets. Mais l’exigence de séparation doit être un compromis entre la faisabilité sur le chantier et la comptabilité des flux triés avec les dispositifs de recyclage. La consigne de tri est un enjeu majeur, car elle doit être comprise par tous. » Pour Maïté Ketterer, la REP bâtiment devra être claire pour ne pas dissuader les artisans de participer à une bonne gestion de leurs déchets de chantier. Cela passera, dans un premier temps, par le volet économique, car l’artisan souhaite non seulement que la gestion de ses déchets ne lui fasse pas perdre trop de temps, mais aussi que cela ne lui coûte pas trop cher. Et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il choisit parfois de ne pas trier ses déchets, car cela lui coûte moins cher de les mettre en mélange. Avec la REP Bâtiment, tout devrait devenir plus simple pour lui, car il n’aura plus à payer pour la gestion de ses déchets… À condition qu’ils soient triés.

VALORISER LA DÉMARCHE ÉCORESPONSABLE

Les sociétés comme Ecodrop, les Ripeurs ou Tri'n'Collect (voir pages précédentes) offrent des services de collecte aux entreprises du bâtiment, mais ces dernières peuvent aussi venir déposer les déchets dans leurs points de vente, lorsque ceux-ci sont dotés d’une déchetterie, à l’image de la solution Batireprise de POINT.P. « Pas toujours facile pour un négoce d’avoir sur son site une déchetterie, reconnaît François Excoffier, P.-D.G. d’Excoffier Recyclage. Les distributeurs doivent s’appuyer sur les déchetteries professionnelles comme les nôtres. Cela leur permet de s’affranchir de la réglementation très contraignante, liée aux installations classées. Cela marche très bien. Ainsi, à Sallanches, nous avons une déchetterie juste en face de l’agence POINT.P et nous travaillons très bien, main dans la main. » L’objectif reste le même :

  • simplifier la démarche écoresponsable de l'artisan
  • l'artisan doit aussi être capabale de la valoriser auprès de son client final.

En passant par des solutions officielles et efficientes, il aura en sa possession un certificat de traçabilité de ses déchets, prouvant que ces derniers ont été pris en charge correctement, dans l’optique d’une valorisation quand cela est possible.

 

Crédit photo : Excoffier

LE FINANCEMENT DE LA REP

Les éco-organismes sont financés par l’éco-contribution, versée par les entreprises qui lui sont adhérentes. Cette éco-contribution finance l’ensemble des obligations des fabricants et des distributeurs (prévention, collecte, tri, recyclage des déchets…). En demandant aux producteurs de financer la gestion de leurs déchets (via cette éco-contribution), ceux-ci ont intérêt à :

  • limiter leur production de déchets 
  • faciliter leur valorisation.

Moins de gestion de déchets, c’est moins d’argent dépensé. Pour ce faire, plusieurs solutions s’offrent à eux : mieux concevoir, faire plus de prévention, intégrer des matières recyclées…